Né en 1932 à Besançon, père de la glaciologie moderne, Claude Lorius a reçu à Tokyo le prix Blue Planet, l’une des plus prestigieuses récompenses internationales dans le domaine de l’environnement.
L. Carpentier : Un peu plus de vingt ans après vos travaux publiés en 1987 dans la revue Nature, tout le monde se pose la question : est-ce réversible ?
Honnêtement, je suis très pessimiste… Sur les CFC, on voit bien que l’arrêt de leur utilisation a permis de réduire le trou dans la couche d’ozone, mais en ce qui concerne la crise climatique, on sait que même si on stabilisait aujourd’hui les émissions de CO2, ce gaz à effet de serre ne disparaîtrait pas pour autant. Il est là pour un moment…
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Les paysages vont changer, les glaciers vont fondre : la liste des impacts est impressionnante parce que, sur cette question, tout est interdépendant… Ainsi, si le permafrost – ce couvercle de glace qui recouvre les sols arctiques – fond, il va libérer du méthane qui, en retour, va accentuer l’effet de serre et aider ainsi à la fonte des glaces. Et plus la surface de celles-ci diminue, plus leur pouvoir réfléchissant disparaît, amplifiant encore le réchauffement…
C’est sûr, nous aurons des catastrophes, des cataclysmes, des guerres. Les inondations, les sécheresses, les famines s’amplifieront, mais l’homme sera toujours là. Ce que nous devons comprendre, c’est que nous entrons dans une nouvelle ère, l’anthropocène, où pour la première fois dans l’histoire de la Terre, l’homme gouverne l’environnement. Il est la première cause des menaces et modifications qui pèsent sur la planète : à lui de savoir ce qu’il veut en faire et comment il va se comporter avec elle.
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C’est le Prix Nobel de chimie Paul Crutzen, qui – le premier – a associé le début de l’anthropocène à l’augmentation des concentrations en CO2 telle que l’a montrée l’analyse des glaces. Mais cet impact humain ne concerne pas seulement le climat. L’occupation des sols, l’utilisation des ressources, la gestion de nos déchets sont autant d’agressions à la planète qui relèvent de l’homme et le menacent.
Pour le réchauffement climatique, la question de l’énergie est le levier essentiel. Au XXe siècle, alors que la population était multipliée par quatre, la consommation d’énergie dont dépendent les émissions de gaz carbonique était multipliée par 40 ! Certains affirment aujourd’hui que la courbe d’augmentation de la population va se calmer. Sans doute. Mais la courbe de la consommation d’énergie, elle, n’a aucune raison de plonger !
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Regardez le Grenelle de l’environnement ! C’était un bel effort, mais au final, il n’y a pas l’argent suffisant pour mener une politique efficace à court terme… La moindre velléité de mettre une taxe sur les 4×4 rend les politiques fébriles de devenir impopulaires… et ce n’est pas en habillant Total en vert qu’on va changer quoi que ce soit.
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Le développement durable est une notion à laquelle je ne crois plus. On ne peut pas maîtriser le développement. Et pour être durable, il faudrait être à l’état d’équilibre, or cet équilibre n’existe pas. C’est un terme trompeur.
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La totalité de cet entretien se trouve dans Le Monde du 12.11.2008
8 commentaires
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14 novembre 2008 à 17:35
patriarch
Je me demande si un jour ils se désideront à agir, en allant à l’encontre des puissances financières de ce monde !!
J’en doute !!
14 novembre 2008 à 22:46
meerkat
« Honnêtement, je suis très pessimiste »… oui…
Eh bien, pour me calmer, je m’énerve sur toutes ces entreprises qui se parent d’une bonne conscience écologique. Total, c’est le pompon en la matière. Bien que l’agrobusiness qui se targue d’être « les sciences de la vie » ou quelque chose d’approchant, ce n’est pas mal non plus.
Quand même, dans le boulot, j’ai en ce moment le plaisir d’envoyer paître « le green marketing », le public n’est plus disposé à avaler les couleuvres semble-t-il. 😉
15 novembre 2008 à 8:49
Saturnas
Ce qui est bien, quand l’Homme aura disparu (après une super-guerre mondiale, une maladie géniale ou une pollution extraordinaire), c’est qu’on assistera (enfin, quand je dis « on »…) à une explosion du Post-anthropocène comme celle du Cambrien. Ça va prendre du temps pour que des bestioles deviennent aussi « évoluées » que nous et re-détruisent la planète.
16 novembre 2008 à 11:25
dieudeschats
Il se dit pessimiste mais il est malgré tout optimiste puisqu’il n’envisage même pas que l’être humain pourrait disparaître de la planète…
Je suis particulièrement contente que les deux derniers paragraphes n’aient pas été « coupés » par le journal(iste). Le greenwashing et le « développement durable », c’est le genre d’hypocrisie qui fait beaucoup de dégâts.
16 novembre 2008 à 23:33
Moukmouk
Et pour le pergélisol il y a plus de si, la zone de dégel profond avance très rapidement chaque année, libérant d’énormes volumes de méthane. Oui des hommes vont survivre, en beaucoup plus petit nombre et avec un mode de vie totalement différent. La ville en a pour moins de 30 ans.
17 novembre 2008 à 9:48
dieudeschats
Je viens encore de lire, dans cet article du Soir, que 2 lacs situés sous une calotte glaciaire se sont vidés (1,7 km³ d’eau, je ne parviens même pas à imaginer quelle quantité ça fait 😯 ).
Et évidemment cette eau a agi comme un lubrifiant, accélérant l’écoulement du glacier Byrd de l’ordre de 10% en à peine plus d’un an… Le GIEC n’a pas du tout pris en compte de telles choses dans ses estimations de la montée des océans.
17 novembre 2008 à 14:19
Moukmouk
Oui, j’en avais déjà parlé, l’accélération des glaciers antarctiques est vraiment étonnante. On parle assez peu des glaciers des iles arctiques canadiennes parce que c’est très mal connu, à mon avis il y a un effet de rétroaction qui accélère le processus.
17 novembre 2008 à 15:15
dieudeschats
Oui, je me souvenais bien que tu en avais parlé, c’est justement parce que cela m’a fait penser à toi que je l’ai résumé ici 😉 Ca m’a fait « plaisir » d’enfin le lire dans un journal…