Durant la conférence universitaire sur le réchauffement climatique tenue à la Exeter University cet été, le climatologue Kevin Anderson a éprouvé devant le public d’experts rassemblés un sentiment étrange : il a souhaité avoir tort. Sentiment partagé par nombre de ceux qui savaient ce qu’il s’apprêtait à dire. (…)

Malgré tous les discours des politiques, les avertissements scientifiques, les grands titres dans les médias et les promesses des entreprises, il allait affirmer que les émissions de carbone étaient en train de monter en flèche, hors de contrôle, bien au dessus des sombres scénarios contenus dans le rapport publié l’année dernière par le GIEC et dans le rapport Stern. (…)

« En tant qu’universitaire, j’aurais aimé qu’on me dise que c’était un très bon travail et que les conclusions étaient solides », déclare Anderson. « Mais en tant qu’être humain, j’aurais désespérément voulu que quelqu’un pointe une erreur, et qu’on me dise que j’avais tout faux. »

Personne ne le fit. La crème de la communauté scientifique des climatologues britanniques conserva le silence, stupéfaite, lorsque Anderson montra que les émissions de carbone depuis 2000 avaient augmenté bien plus vite que quiconque ne l’aurait crû possible, principalement en raison du boom économique d’un monde en développement basé sur le charbon. (…)

Le niveau de CO2 est actuellement de 380 ppm, soit 280 ppm de plus qu’à l’époque de la révolution industrielle, et il augmente de plus de 2 ppm par an. La position officielle du gouvernement est que la communauté internationale devrait avoir pour objectif de limiter cette élévation à 450 ppm.

Les résultats scientifiques sont encore parcellaires, mais des experts disent que cela pourrait offrir une chance raisonnable de limiter une éventuelle montée des températures à 2°C au dessus de la période pré-industrielle, seuil que l’Union Européenne définit comme dangereux. (L’augmentation de température est déjà de 0.7°C et un supplément estimé à 0.5°C est garanti, en raison des émissions passées.) (…)

A 650 ppm, les recherches actuelles indiquent que le monde pourrait fait face à une augmentation catastrophique de la moyenne des températures de 4°C. Mais, prévient Anderson, même ce scénario inquiétant ne pourrait être réalisé que si les pays riches adoptaient « une réduction draconienne des émissions en une décennie ». Seule une « récession économique planifiée » sans précédent pourrait y suffire. La crise financière actuelle ne s’en approcherait même pas. (…)

Bob Watson, le scientifique en chef du Ministère de l’Environnement britannique et l’ancien président du GIEC, avertissait cette année que le monde devait se préparer à une augmentation de 4°C, ce qui éliminerait des centaines d’espèces, créerait des pénuries de nourriture et d’eau dans les pays vulnérables et causerait des inondations qui déplaceraient des centaines de millions de personnes. Le réchauffement serait encore plus sévère sur les pôles, ce qui pourrait accélérer la fonte des glaces du Groenland et de l’Antarctique occidentale. (…)

On y lit [NdDDC : dans un rapport du gouvernement australien publié cet automne] que les nations développées telles que le Royaume-Uni, les USA et l’Australie, devraient réduire leurs émissions de dioxyde de carbone de 5% par an pendant la prochaine décennie pour atteindre l’objectif de 450ppm. Le Britain’s Climate Change Act 2008, la législation la plus ambitieuse de son espèce dans le monde, entend réduire les émissions d’environ 3% par an jusqu’en 2050. (…)

Henry Derwent, l’ancien président de la délégation Britannique aux négociations internationales sur le climat, maintenant président de l’International Emissions Trading Association, estime qu’un nouveau traité sur le climat ne comprendra probablement pas d’objectif de stabilisation, que ce soit 450 ou 550ppm. (…)

La hausse des chiffres des émissions dues à l’activité humaines intervient au pire moment, alors même que les scientifiques ont découvert que les forêts et les océans de la Terre pourraient perdre leur capacité d’absorption du carbone répandu dans l’atmosphère. La plupart des projections climatiques prennent pour hypothèse qu’environ la moitié de toutes les émissions de carbone soient réabsorbées dans ces puits naturels.
Les modèles informatiques prédisent que cet effet s’affaiblira lorsque le monde se réchauffera, et une série d’études récentes suggèrent que c’est d’ores et déjà le cas.

La capacité de l’Océan austral à absorber le dioxyde de carbone s’est affaiblie d’environ 15% par décennie depuis 1981, alors qu’en Atlantique nord, les scientifiques de l’Université d’East Anglia ont montré un déclin dramatique des puits de CO2 entre les milieux des années 1990 et 2000.

Une étude indépendante publiée cette année montre que la capacité des forêts à absorber le dioxyde de carbone anthropogénique (causé par l’activité humaine) faiblissait, parce que le changement de durée des saisons altérait le moment où les arbres passaient de l’état de puits de carbone à celui de source émettrice.

Les sols pourraient également relâcher leurs réserves de carbone : la preuve est apparue en 2005 qu’une vaste étendue de la Sibérie Occidentale subissait un dégel sans précédent.
Dans cette région, la plus large tourbière gelée du monde a commencé à fondre pour la première fois depuis sa formation il y a de cela 11000 ans. Les scientifiques pensent que la tourbière pourrait commencer à relâcher des milliards de tonnes de méthane emprisonnés dans les sols, un gaz à effet de serre 20 fois plus puissant que le CO2. L’Organisation Météorologique Mondiale a récemment annoncé la plus grosse augmentation des niveaux de méthane dans l’atmosphère depuis 10 ans.

Des experts affirment que la gravité des résultats des études récentes, combinée au boom sans précédent des émissions de carbones, nécessite une réévaluation urgente de la situation. Dans un article publié ce mois-ci dans la revue Climatic Change, Peter Sheehan, un économiste de l’Université australienne Victoria, écrit que l’ampleur des récentes émissions implique que les réductions de carbone préconisées par le GIEC pour stabiliser les niveaux dans l’atmosphère « ne peuvent pas être pris comme un guide fiable pour une décision politique immédiate ». Les réductions, dit-il, doivent être plus importantes et concerner plus de secteurs.

Plus tôt cette année, Jim Hansen, un climatologue expert de la NASA, a publié un article qui avertissait que les objectifs de CO2 mondiaux devaient être révisés de façon urgente pour prendre en compte le risque d’effet rétroactif sur le système climatique. Il a utilisé des reconstitutions du climat terrestre du passé pour montrer que l’objectif de 350ppm – niveau bien plus bas que celui atteint aujourd’hui – est nécessaire pour « préserver une planète similaire à celle sur laquelle la civilisation s’est développée et la vie sur Terre s’est adaptée ». (…)

« C’était déjà très urgent. C’est devenu très, très urgent. » [NdDDC : citation de Watson, pour le mot de la fin]

Article complet (en anglais) : The Guardian, D. Adam, 09.12.2008
Traduction Nicolas Sautet pour Contre Info.